samedi 9 mai 2015

Plasticité du bonheur ? Pourquoi la quête du bonheur est-elle si triste ? Raphaël Enthoven s'entretient avec André Guigot.

Plasticité du bonheur ?


Quelle différence entre bonheur et bien être ? Le bonheur est-il le soulagement d'un mal passé ? Une suspension de la douleur ? Une intensité ?

La vidéo d’« Arte philosophie » avec André Guigot consacrée au « Bonheur », apporte quelques réponses essentielles.

 On pourra s’interroger  - peut-être interroger les philosophes – sur la question du mélange, des connexions qui font de l’embrassement un embrasement.

Si le bonheur se situe à la croisée d’une rencontre.  Contenu tout entier situé dans la percussion de deux âmes solitaires.  Etincelle produite du choc de deux billes lancées l’une vers l’autre à pleine lenteur. Que peut-on dire de plus ?  Ne peut-on aller plus loin ?


Raphaël Enthoven - Photo : Virginie, Le Chêne parlant

Développements…

Lorsque la chercheuse en pédagogie Britt-Mari Barth élucide les mécanismes des déstabilisations psychiques, pour indique : « Nous sommes tous, même le jeune enfant, très sensibles au jugement que notre interlocuteur porte sur nous et nous nous trompons rarement pour le discerner. Quand ce jugement est négatif, il influence de façon négative notre capacité à fonctionner intellectuellement. Le contraire est également vrai. Il y a des gens qui nous rendent intelligents, et il y en a d'autres avec lesquels on se sent bête. » 2*

Au travers de ce qui pourrait passer pour une simple anecdote – soit dit en passant vécue par beaucoup – nous mesurons à quel point un fait, un dire, une situation, un échec, une réussite non seulement nous affectent mais nous transforment. En profondeur.
Or, ces influences, ces modifications, ces transformations, passionnantes sont trop peu souvent évoquées en philosophie.
Les raisons organiques sont peut être à creuser aux fondations de cette discipline (atomisme, etc.)

Poursuivons… Petit détour par le chemin de la lecture...



"Le chemin des livres" Photo : Arteide Studio


Quand on offre aux élèves un moment de lecture dite « magistrale » - l’adjectif est évocateur. On se laisse emporter par la vérité de l’expérience vécue. Universelle ? En tout cas commune à beaucoup. C'est la communion, la dissolution du temps observé chez ce public d'enfants.  Il n'est qu'à voir le regard vigilant d'un élève découvrant le système solaire dans un album documentaire, scrutant la moindre étoile, cherchant le plus petit satellite pour en prendre la mesure.
De la magie ?
Naturellement, non…

Plus que l’artifice stylistique ou la construction théâtrale du lecteur, c'est le pouvoir absolu des mots, qui, tout à coup, viennent modifier une vie, agissent – ont une action - jusqu’à nous transporter dans des univers dénués de temps et d’espace. Des dimensions où l’on se laisse entraîner, saisis de l’attente provisoire, le secret espoir, d’une fusion des molécules de la connaissance, des opinions, des pensées d'autrui avec les nôtres.
Romain Gary ne dit rien d’autre 3*. La littérature est fondée sur des tours, des artifices nécessitant de longues heures d’écriture. Une adresse où les retours, les détours, les reprises, bref, les ingrédients du récit se dissolvent, où la structure, les étapes de construction, l’intention de l’auteur s’effacent. Une illusion où seul le naturel, l'aisance, la facilité, transparaissent. C’est un état de maîtrise tel que la réalité et la véracité soient la promesse du texte, et provoque un souverain bonheur.

Edward Hopper 

Compartiment C, voiture 193.  1938. Collection I.B.M. New-York


Lire est une rencontre.
Il est des textes qui vous prennent par la main, vous saisissent, vous embrassent, vous accompagnent et vous révèlent à vous-même. Des guides providentiels qui vous consolent, vous aident, vous protègent, vous structurent. La littérature chez Romain Gary, corrige, amende la déception que l'on peut rencontrer à l'égard de la vie.
L’écrit détient un pouvoir purificateur, soigne, prend aux tripes, mais attention sans constituer  une fuite, rappelle Julien Roumette. L'aptitude de la littérature à faire comprendre la vie - à nous parler, à nouer des contacts, à communiquer des énergies, des rages, à affiner, affirmer notre esprit, nous frotter à toutes sortes de réponses, d’incarnations d'expérience, de réticences, d’inquiétudes, de tourments - est éternelle. La littérature peut changer une manière de penser. Voilà sa puissance camusienne.  « lire ça aide à vivre. 4*  Pas seulement à parler et à écrire sa propre langue le mieux possible, mais aussi à penser, et à rêver, et à imaginer, et à ouvrir au fond de soi quelque vanne invisible. » Précisément, se sentir en communion (humaine et culturelle). Se confronter aux expériences millénaires. « Comme dit Descartes, la lecture est une conversation qu'on mène avec les meilleurs esprits de tous les temps... »5*.

Creusons ce phénomène. Essayons d’en déterminer la nature. Cernons-le d’un peu plus loin.


Photographe ? 

Cela aurait-il à voir avec la plasticité cérébrale ?

Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche à l'institut Pasteur, nous explique comment évolue notre cerveau depuis la naissance :  « Quand le bébé humain voit le jour, il possède cent milliards de neurones qui cessent alors de se multiplier. Mais son cerveau est loin d'être terminé, car les connexions entre les neurones, ou synapses, commencent à peine à se former : seulement 10% d'entre elles sont présentes à la naissance. Les 90% restantes vont se construire progressivement jusqu'à l'âge de quinze - vingt ans. Dans un cerveau humain adulte, on estime à un million de milliards le nombre de synapses qui relient nos cent milliards de neurones ! En moyenne, chaque neurone est en communication avec dix mille autres. » 6*  Elle ajoute, combien, à partir de la naissance « Le développement du cerveau se poursuit désormais en relation étroite avec l'environnement physique et affectif du bébé. Les réseaux de neurones commencent à fonctionner sous l'influence de facteurs extérieurs. Ce fonctionnement entraîne une nouvelle phase de modelage des connexions. » 7* La neurobiologiste insiste sur « l'importance des interactions avec le monde extérieur dans la construction du cerveau. Ils montrent que le cerveau n'est pas d'emblée câblé comme un  ordinateur et que rien n'est irrémédiablement figé. On parle de « plasticité » pour qualifier cette propriété du cerveau à se modeler en fonction de l'expérience vécue. » 8*

La « plasticité cérébrale », effectivement, joue un rôle essentiel dans chacune de nos études, chacun de nos apprentissages.

Retour vers le bonheur…

Comme André Guigot l’indique dans la vidéo 1*, quand on donne un baiser « C’est le corps tout entier qui est embrassé. » Ceci, bien sûr, se produit des deux côtés…
L’échange dans ces conditions, s’apparenterait davantage à la production d’un feu nucléaire. Dilatations croisées de deux essences émettant une lueur – appelons-la énergie, affection, force vitale, libido, qu’importe – en tout cas un surgissement toujours renouvelé, inconnu, inattendu, imprévisible – im-pensable.

Et de cet entremêlement de nuances, de l’interpénétration d’ondes premières, émerge de nouveaux contrastes, des opacités nouvelles, des transparences complémentaires. Des milliards de richesses plastiques, impalpables et mouvantes.

Les amoureux sont millionnaires en autre.


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André Guigot est l'invité de Raphaël Enthoven dans "Philosophie"


Cliquez ici pour accéder à la VIDEO 


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1* Bonheur - André Guigot est l'invité de Raphaël Enthoven dans "Philosophie"

2* Britt-mari Barth, Le Savoir en construction, Retz, Paris, 2004, ISBN : 978-2-7256-2234-7
le savoir en construction, p 153,
3* Les nouveaux chemins de la philosophie, émission de Raphaël Enthoven, consacrée à l'art de l'enfance, Romain Gary du mardi 26 janvier 2010, avec Julien Roumette, professeur à l'université de Toulouse 2 Mirail.
4* Danièle Sallenave, Nous on n'aime pas lire, Gallimard, 2009, En itallique dans le texte, P 17.
5* Danièle Sallenave, Nous on n'aime pas lire, Gallimard, 2009, En itallique dans le texte, Op, cit, P30.
7*  Ibidem.
8*  Ibidem, p 68.




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Lumières ? 

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