jeudi 14 janvier 2016

"Art et science, des sèves différentes ?" rencontre avec Etienne Klein par le Chêne parlant. 3/4

Vidéo 3 : Art et science, des sèves différentes ?



24 Octobre 2015 - conférence "L'instant zéro" -
Croisière Intermède "A la recherche du temps."
Photo : Virginie le Chêne parlant

Merci à Etienne Klein d’avoir accepté de répondre aux questions du Chêne.

Etienne Klein : C’est  à mettre cela à l’honneur de l’esprit humain que d’être capable de penser contre son cerveau. Penser contre soi-même.
Virginie : C’est expliquer le monde par l’impossible.
Etienne Klein : Exactement. La phrase de Koyré que je cite très souvent : « Faire de la physique, c’est faire le pari d’expliquer le réel par l’impossible. » Les lois physiques peuvent complètement surprendre notre intuition.
Virginie : C’est peut-être ce qui sépare la science de l’Art. Il y a moins cette capacité d’impossibilité dans l’Art.
Etienne Klein : Il n’y a pas en art le critère de l’expérience, le critère du test. Le critère, c’est celui du marché. Si on veut vendre, il s’agit de répondre aux critères du marché. Les plus grands génies de la peinture ont souvent eu des mémoires posthumes. Les critères du moment où ils peignaient n’étaient pas ceux qui pouvaient les reconnaitre, repérer leur génie.
Le succès obéit à des critères. En science, les critères sont ceux des tests par l’expérience. Les physiciens qui ont eu le prix Nobel ne sont pas les physiciens les plus géniaux. Ce sont ceux qui ont eu après coup l’aval de la nature. Or qui sait à l’avance ce que donnera l’aval de la Nature ?



24 Octobre 2015 - conférence "L'instant zéro" -
Croisière Intermède "A la recherche du temps."
Photo : Virginie le Chêne parlant

Virginie : Pas mal de scientifiques ont été reconnus après coup ou du moins tardivement… Ça n’a pas été le cas d’Einstein.
Etienne Klein : C’est normal. Il n’y a pas lieu de s’en offusquer. La théorie de la relativité en 1905 avait finalement très peu d’arguments contre elle. Une théorie, on ne lui demande pas, sous prétexte qu’elle est neuve d’être immédiatement admise. Il faut des tests. Pour ce qui est de la relativité, les tests ont été assez longs à venir. Il est normal que l’on demande à une théorie aussi novatrice que celle-là d’établir les preuves sinon de sa véracité du moins de son efficacité opératoire et expérimentale. Si on devait applaudir, comme si elle était vraie, toute nouvelle théorie qui se présentait à nous, il y aurait des embouteillages.  
Virginie : Existe-t-il des liens particuliers entre l’Art et la science ?   Léonard de Vinci était un touche à tout, tout comme Einstein, dont vous dites qu’il était un bricoleur *.  
Etienne Klein : Il y a des scientifiques qui sont également des Artistes. Des physiciens qui peignent et des mathématiciens qui font des compositions musicales. On peut être les deux. Encore une fois, pouvoir faire les deux n’est pas l’indice que ce soit la même chose dans les deux cas. Ca répond peut-être d’un même élan, d’une même libido. Mais la libido en question se déploie sur des objets et des méthodes qui sont séparés.
 Virginie : Existe–t-il des cas particuliers où un poème, un tableau aurait nourri un scientifique dans ses recherches ?
 Etienne Klein : Il existe un cas de physicien nourrit par des œuvres picturales c’est Bernard d’Espagnat, un grand physicien. Ce dernier a théorisé le « Réel voilé » en mécanique quantique. Son père, Georges d’Espagnat, était un peintre pré-fauviste. La peinture de ce dernier a eu un effet sur la façon de penser le réel du scientifique, notamment cette idée de voile. Précisons : La physique quantique ne nous parle pas du réel indépendant – tel qu’il serait indépendamment de la connaissance qu’on en a – mais exprime seulement le réel empirique. Autrement dit, le réel – « le vrai » - nous est voilé. Le physicien a donc été inspiré par l’œuvre d’un artiste qui se trouvait être son propre père.

La réciproque est vraie. Certains artistes ont également été  inspirés par des travaux scientifiques : Kandinsky qui écrit des choses sur l’atome,   Paul Klee également, il y a beaucoup d’exemples…

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Conversation entre Bernard d’Espagnat et Étienne Klein 
à propos du livre « A la recherche du réel »


Envie de comprendre, émerveillement... Entretien sensible à savourer...

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