samedi 9 janvier 2016

La laïcité - EMC, éléments de réflexions pédagogiques issus du réseau CANOPE

Site du réseau CANOPE
Le texte repris en raison de sa qualité pédagogique.


La Laïcité :


La Liberté, (Texte Canopée, lien plus haut.)
définition :
1. Condition de l'homme qui n'appartient à aucun maître. Dans l'antiquité, ceux qui étaient pris à la guerre perdaient leur liberté et devenaient esclaves.
Source : Littre.org
Définition Larousse
n. f. (latin libertas, -atis)
État de quelqu'un qui n'est pas soumis à un maître : Donner sa liberté à un esclave.
Condition d'un peuple qui se gouverne en pleine souveraineté : Liberté politique.
Droit reconnu par la loi dans certains domaines, état de ce qui n'est pas soumis au pouvoir politique, qui ne fait pas l'objet de pressions : La liberté de la presse.
Situation de quelqu'un qui se détermine en dehors de toute pression extérieure ou de tout préjugé : Avoir sa liberté de pensée.
Possibilité d'agir selon ses propres choix, sans avoir à en référer à une autorité quelconque : On lui laisse trop peu de liberté.


Les Goélands de Venise - octobre 2015
Gif Virginie - Le Chêne parlant

Source : Larousse.fr
Guy Carcassonne
La liberté, pour emprunter à Saint-Exupéry, ce n’est pas d’errer dans le vide, mais de pouvoir choisir soi-même, parmi ceux disponibles, le chemin que l’on veut suivre, sans que puisse l’interdire aucun pouvoir extérieur, même (surtout ?) celui d’un État.
La liberté, loin d’exclure les limites, les impose au contraire. Pour la sécurité de tous, je dois respecter le Code de la route et le gendarme y veille, mais moi seul décide où je veux aller, quand, avec qui. Selon l’article 4 de la Déclaration de 1789, « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Elle se révèle alors indissociable de l’égalité : c’est parce que les autres ont des droits égaux aux miens, que ma liberté est limitée par le respect de la leur et leur liberté limitée par le respect de la mienne. En même temps que complémentaires, pourtant, liberté et égalité sont contradictoires : la liberté absolue, c’est la loi du plus fort ; l’égalité absolue, c’est la négation de la liberté. Le défi de la civilisation est donc dans la juste mesure, hors d’atteinte mais toujours recherchée, sans jamais sacrifier complètement l’une à l’autre.
C’est la loi, quand besoin est, qui assure cette conciliation car, si elle est démocratique, elle protège bien plus qu’elle ne contraint. Cette liberté en droit est toujours insuffisante – le SDF jouit-il vraiment de sa liberté ? – mais cependant toujours nécessaire. Et même le SDF a plus de chance de cesser de l’être un jour dans une société libre que dans une autre : est-ce un hasard ou une coïncidence si les pays les plus riches du monde sont aussi les plus libres ?
Enfin, la liberté a un corollaire : la responsabilité. Chaque fois que je décide seul de mes choix, j’en suis aussi seul responsable. Individuellement comme collectivement, l’on ne peut exercer sa liberté sans assumer la responsabilité qui va avec, à l’égard de soi-même et des autres. C’est pourquoi la liberté, qui donne à la vie sa saveur, lui donne aussi sa dignité.
Extrait de Guide républicain. L’idée républicaine aujourd’hui.
SCÉRÉN-CNDP, ministère de l’Éducation nationale, Delagrave, 2004.



Merveilleuse intervention d'Henri Peña Ruiz 
issue  de la conférence donnée à l'université de Strasbourg, le 24 février 2015. 
Devenir élève - explicite le philosophe - c'est s'élever. 
C'est-à-dire se construire une identité de citoyen éclairé, maître de son jugement. 
Atteindre l'autonomie : le stage l'homme autonome - libre, pouvant user de sa raison de manière éclairée - enfin, pouvant se passer du maître. 


LES TEXTES DE RÉFÉRENCE
Les valeurs de la République ont d’abord été définies par la devise de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité », présente en 1848, puis ornant les bâtiments publics à partir de 1880. Depuis une dizaine d’années, des propositions d’ajout de « laïcité » à la devise sont formulées. L’évolution de la démocratie française a mis également en avant de nouvelles valeurs. Le programme du nouvel Enseignement moral et civique donne la liste suivante des valeurs de la République : « Ces valeurs sont la liberté, l'égalité, la fraternité, la laïcité, la solidarité, l'esprit de justice, le respect et l'absence de toutes formes de discriminations. » Ces valeurs de la République se sont incarnées dans de grands textes de loi, dans des institutions, et se sont exprimées dans des moments privilégiés de notre histoire.
Jérôme Grondeux.

Les libertés fondamentales
Dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) : Adoptée le 26 août 1789 par l’Assemblée nationale, cette déclaration doit être le fondement d’un nouvel ordre politique reposant sur les Droits de l’homme. La liberté y est présente dès le premier article, comme le premier de ces droits. Elle y est définie ainsi : « Pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Elle a pour borne le respect des droits des autres individus, et ces bornes « ne peuvent être déterminées que par la loi ». Elle s’étend au domaine religieux et à l’expression des opinions : articles 1, 2, 4, 5, 7, 10 et 11
Lire le texte intégral sur le site legifrance.gouvr.fr
Liberté de la presse (1881) : Les années 1880 sont celles où le régime républicain se met en place durablement en France. Les républicains se réclament des principes de 1789 et ils défendent la liberté de la presse. La loi du 29 juillet 1881 fait de la France un des pays où la liberté de la presse est la mieux garantie, mais celle-ci s’exerce dans le cadre de la loi : on ne peut inciter à commettre des actes illégaux, diffamer des personnes… Cette loi reste le fondement de la liberté de la presse en France.
Lire un article sur le site france.fr
Elle a cependant connu des évolutions : par exemple, le délit d’offense au président de la République a été par exemple supprimé par la loi du 5 août 2013. Suivre cette évolution sur le site legisfrance.gouv.fr
Liberté d’association (1901) : Dans la logique de la déclaration de 1789, les citoyens ne sont unis que par la loi qui soude la nation. Les révolutionnaires se méfient des associations : ils suppriment les corporations et entrent en conflit avec l’Église. Mais en 1884, les syndicats sont autorisés et la loi de 1901 institue en France la liberté d’association.
Lire une présentation des axes principaux de la loi du 1er juillet 1901 sur le site associations.gouv.fr
Liberté de culte (1905) : La loi de 1905 ne sépare pas seulement les Églises et l’État. Elle proclame que la République « assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes ». Chacun est libre d’avoir ou non une religion et, dans la limite du respect de l’ordre public, chacun peut pratiquer le culte de son choix.
Lire un article sur la loi de 1905 sur le site ladocumentationfrancaise.fr
Jérôme Grondeux.
Les libertés garanties
L’État de droit : L’État lui-même est soumis au principe de légalité. La Constitution (mettre en place une constitution était le grand objectif initial de la Révolution française) est au sommet de la hiérarchie des normes qui structure la vie de la société.
Lire un article sur le site vie-publique.fr
Sûreté, sécurité et sécurité nationale : La sûreté figure dans la liste des Droits de l’homme présente à l’article 2 de la Déclaration de 1789. Elle est la condition de l’exercice des libertés et de l’ensemble des droits. Elle concerne donc à la fois le citoyen et l’État. La lutte contre le terrorisme s’inscrit dans cette perspective.
Lire les grandes orientations stratégiques de la défense française sur le site livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr
Le Conseil constitutionnel garant des libertés : La constitution de 1958 a créé le Conseil constitutionnel afin de vérifier la conformité des lois à la Constitution. Son rôle s’est progressivement accru. En 1971, il est devenu le gardien des « Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Il peut depuis 1974 être saisi par l’opposition et, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, il peut l’être par les justiciables.
Lire un article sur le site vie-publique.fr
L’Europe garante des libertés (CEDH, charte de 2000) : La République française est membre d’une Europe qui s’est définie comme une Europe des démocraties, et s’est penchée sur la sauvegarde des libertés. La France a ratifié en 1974 la Convention européenne des Droits de l’homme, qui n’est pas une institution de l’Union européenne mais offre aux citoyens des possibilités de recours.
Lire un article sur le site vie-publique.fr
L’Union européenne elle-même s’est dotée d’une Charte des droits fondamentaux insistant sur la dignité humaine.
Lire le texte intégral sur le site eur-lex.europea.eu
Jérôme Grondeux.


Bob Hope with Jane Russel

DES QUESTIONS, DES RÉACTIONS ? QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉPONSE
Il y a toujours quelqu’un pour m’empêcher d’être libre !
Il y a toujours quelqu'un pour m'empêcher d'être libre !
Michel Delattre, professeur de philosophie à Sciences-Po, Saint Germain en Laye.
POURSUIVRE LA RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE
La quasi-totalité des philosophes et des théoriciens politiques, même s’ils en tirent des conséquences différentes, s’accordent d’une façon ou d’une autre sur le fait que comme le dit Spinoza : « Être captif de son plaisir […] est le pire des esclavages », ou comme le confirme Rousseau : « L’impulsion du seul appétit est esclavage et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. » Or, l’une des raisons de ne pas céder à la confusion entre liberté et licence, c’est l’existence d’autrui : soit je lui reconnais des droits que je veux qu’il respecte à mon égard, soit je m’engage avec lui dans un rapport de force dont l’issue est incertaine et toujours exposée à l’instabilité et au renversement de la situation – ce qui, dans un cas comme dans l’autre, n’est pas vraiment la liberté. D’où la grande illusion selon laquelle on serait beaucoup plus libre si les autres n’existaient pas. Mais que serait notre liberté, c’est-à-dire notre pouvoir réel, dans ces conditions ? Qu’on essaie, par un effort de l’imagination, de considérer comment on vivrait en se dépouillant de tout ce qu’on doit à l’existence des autres : de ce qu’ils nous apportent aujourd’hui, mais également de tout ce qui nous a été légué par l’humanité passée.
Bien sûr, il arrive que les relations avec les autres soient une atteinte à notre liberté, mais alors il s’agit de relations malsaines. C’est à certains égards ce que Sartre a voulu exprimer lorsqu’il fait déclarer à l’un de ses personnages, dans Huis clos, que « l’enfer, c’est les autres ». Mais cette formule a très souvent été détournée des intentions de son auteur. Sartre s’en explique d’ailleurs un jour, en introduction à une représentation de cette œuvre : ce qu’il a voulu mettre en scène, ce n’est pas qu’autrui est nécessairement un obstacle à mon existence, mais que lorsque nous dépendons de façon excessive du jugement d’autrui, ou lorsque nous sommes soumis à lui, que ce soit par un rapport de force, par un aveuglement passionnel, ou par un effet de tromperie, nos relations avec lui et avec nous-mêmes sont empoisonnées. Plus fondamentalement encore, cette œuvre illustre que dans les jugements que nous portons sur nous-mêmes, l’existence et le jugement d’autrui jouent un rôle qui ne peut jamais être négligé, tout en veillant à ce que cela ne conduise pas à ce que nous soyons aliénés par une subordination aux autres. Les trois personnages de Huis clos ont mal agi et se retrouvent en enfer. Mais cet enfer ne consiste en rien d’autre que dans le fait que chacun intériorise le jugement négatif qu’il prête aux deux autres et, pire encore, qu’un jugement positif de leur part ne serait pas crédible. L’auteur a ainsi voulu montrer que nous étions effectivement dépendants de l’existence des autres, mais cette dépendance n’est pas nécessairement contraire à notre liberté, sauf à ce que nous confondions la liberté et la solitude, ce qui serait sans doute une bien pauvre liberté. Si l’enfer, dans la situation de Huis clos, c’est les autres, c’est précisément parce que les valeurs morales que je reconnais fondamentalement sont une forme de reconnaissance de la valeur d’autrui et une aspiration à être reconnu par lui. Même dans les groupes de délinquants, cette exigence de reconnaissance mutuelle existe.
Celui qui croit que l’existence des autres l’empêche d’être libre confond donc la liberté et la licence, qui consisterait à vivre sans règles. On peut de ce point de vue interroger le sens du fameux proverbe selon lequel ma liberté s’arrête où commence celle des autres. Si on le prenait à la lettre, cela signifierait que plus je limite la liberté d’autrui, plus j’en ai moi-même. Ce serait là un véritable contresens, car autrui serait dans les mêmes dispositions et on en reviendrait à la loi de la jungle, qui n’est pas vraiment un état de liberté, ou alors pour une petite minorité. En réalité, il s’agit de comprendre que la liberté est toujours une affaire commune, qui suppose des règles communes.
On peut prendre l’exemple du Code de la route : que les autres circulent dans le même espace routier que moi n’est pas contraire à ma liberté de circuler, à condition de respecter un code commun. D’ailleurs, si j’étais seul à vouloir circuler, il n’y aurait pas d’espace routier… La liberté de circuler exige ici le Code de la route, qui prend en considération le fait que nous sommes plusieurs à profiter du même espace de circulation. C’est précisément l’organisation d’un espace routier commun conjugué avec des règles de circulation communes qui a démultiplié notre liberté de circulation. Celui qui ne respecte pas ces règles, parce qu’il s’imagine que sans elles il circule plus librement, n’a pas conscience du fait que c’est grâce à elles qu’on circule de façon plus efficace et plus sûre.
Ou s’il en a conscience, il illustre ce que le philosophe Emmanuel Kant appelait « l’insociable sociabilité », qui selon lui anime plus ou moins tous les humains : d’un côté, ils souhaitent l’existence des autres et la vie sociale, parce qu’ils savent ce qu’ils leur doivent et redoutent ce qu’ils seraient sans elles. Et, par voie de conséquence, ils savent que les relations avec autrui supposent des règles, des obligations communes, mais aussi des droits garantis à chacun. Mais, en même temps, chacun est toujours exposé à un petit calcul égoïste consistant à s’imaginer que les choses seraient beaucoup mieux s’il pouvait jouir des avantages liés à la vie sociale en imposant les règles aux autres et en s’en dispensant soi-même. Par exemple, chacun souhaite que la collectivité lui garantisse l’existence d’hôpitaux, d’écoles, de services de transport… de la meilleure qualité possible. Chacun est donc favorable, au moins dans le principe, à l’existence d’une fiscalité (évidemment juste – ce qui n’est pas une mince condition) qui finance ces services publics. Mais combien, chacun dans son coin, sont tout aussi tentés par la fraude fiscale et sont hostiles à ce que l’on vérifie leur déclaration de revenus ? Qui, dans ce cas de figure, est celui qui crée des obstacles à ce que les autres vivent librement ?
Michel Delattre.



On a le droit de tout dire ou faire, on est en République !
On a le droit de tout dire ou faire, on est en République !
Olivier Loubes, professeur en classe préparatoire au lycée Saint-Sernin, Historien de la nation et de l'enseignement en France, CNRS Toulouse.

POURSUIVRE LA RÉFLEXION HISTORIQUE : LA DEVISE RÉPUBLICAINE
Devise ? Liberté, Égalité, Fraternité ou les trois ordres de l’imaginaire républicain
La devise Liberté, Égalité, Fraternité, « principe de la République » est l'incarnation des trois ordres de l’imaginaire républicain. Comme pour le suffrage universel (masculin), c’est en 1848 que s’effectue le choix de la devise républicaine. Bien sûr, les trois mots existent dans le vocabulaire politique depuis la Révolution française, mais sans que leur association prenne un caractère officiel. Ainsi, la Fraternité ne figure pas dans les principes de 1789. Or, dans la Constitution de la Deuxième République en 1848, l’article IV fait de la devise Liberté, Égalité, Fraternité un « principe » de la République. Puis, dès que la Troisième République est aux mains des républicains en 1879, elle la reprend officiellement à son compte et, à partir du 14 juillet 1880, elle figure sur les frontons des édifices publics, églises comprises parfois par la suite. Dans cette continuité, l’article 2 de notre Constitution de 1958 – qui reprend celui de la Constitution de 1946 – stipule : « La devise de la République est "Liberté, Égalité, Fraternité." » On ne saurait être plus clair, à condition de bien noter qu’il s’agit dans cette définition officielle de la « devise de la République », pas de celle de la France. La devise de la République est un symbole lorsqu’elle figure aux frontons des mairies, des écoles, des bâtiments publics. Mais, bien plus clairement que les autres symboles, qui sont concrets – Marianne, le drapeau, l’hymne –, elle est l’incarnation des valeurs fondamentales de la République traduites en mots abstraits, d’où les principes découlent, ou dont ils sont armés. Dès lors, cette triple déclinaison des valeurs principielles renvoie à l’imaginaire politique et social de la République. Si on transpose le schéma élaboré par Georges Duby pour comprendre l’imaginaire féodal en trois ordres, on peut dépeindre un imaginaire républicain en trois ordres lui aussi. De façon stimulante, dans cette peinture historique, on pourrait placer l’Égalité en premier… Voyons pourquoi.
La Liberté est l’initiale de la République, sa religion première. À la lettre et dans l’esprit, la Liberté est la première valeur énoncée dans la devise républicaine, la première aussi dans l’ordre du temps. Mais, à dire vrai, la Liberté était là avant Marianne. En effet, avant de songer à la République, les patriotes de 1789 rêvaient à la liberté, comme leurs cousins américains.
Ainsi, dans l’ordre du discours de la définition des droits universels de la DDHC, « Les hommes naissent et demeurent » d’abord « libres » avant d’être « égaux ».
Toutefois, bien loin d’en clore l’histoire, cette installation primordiale de la Liberté dans la définition de la démocratie ouvre le cycle des combats pour sa réalisation effective, pour la matérialisation des libertés en droits, souvent arrachés. Sur cette impulsion première, qui la précède mais qu’elle incarne, la République passe son temps à définir sa démocratie politique dans son rapport à la liberté, dans le rapport entre la société telle qu’elle évolue et la liberté. Les réglages sont constants, comme ceux qui concernent la liberté d’expression, posée en principe dès 1789 dans l’article 11 de la DDHC. Elle est traduite dans la grande loi de juillet 1881, consolidée depuis bien sûr mais qui reste appliquée encore de nos jours, car elle repose toujours sur les principes libéraux d’origine. Prenons le cas du blasphème, bon indicateur de l’état de liberté de conscience et d’expression d’une société développée. Il n’est évidemment pas un droit. Mais il n’est plus un délit, encore moins un crime depuis justement l’article 11 de 1789. Par la suite, les régimes antidémocratiques rétabliront le crime de blasphème, qui disparaîtra définitivement de nos lois en juillet 1881.
L’Égalité est la noblesse de la République. Au début du verbe républicain était l’Égalité. Du moins en France. En effet, c’est sur la revendication de l’égalité des droits politiques, la liberté en tête bien sûr, que les républicains ont forgé leur identité politique. Entre 1789 et 1792, la monarchie constitutionnelle n’a pas réussi à incarner cette égalité des droits politiques. Comme l’ordre noble, second ordre privilégié de l’Ancien Régime mais premier ordre social dans la France des rois, l’Égalité est en effet la première valeur dans l’ordre historique et social de la République, même si elle apparaît en second dans l’ordre honorifique de la devise républicaine. Il faut dire que la République elle-même est le régime second de la révolution française. Elle est née de l’échec de la monarchie constitutionnelle à étendre la liberté, les droits politiques, à tous. L’incapacité des constituants à mettre en pratique de façon démocratique la révolution des droits de l’homme, l’exclusion de fait de la très grande majorité des citoyens de l’exercice de la souveraineté nationale, a laissé la place au projet d’un autre régime, fondé sur l’égalité des droits. Ce n’est pas un hasard si jusqu’en 1848 le programme des républicains est d’abord le suffrage universel (masculin). La République des républicains français s’appelle donc Égalité. Cette équivalence est une construction historique propre à notre pays. Ce qui explique certains ressorts majeurs de notre culture politique. Si on traverse l’Atlantique, l’histoire de la République aux États-Unis est celle de la libération de la tutelle de l’État britannique, donc la République y est Liberté, historiquement.
Mais que l’on ne s’y trompe pas, une fois les choix de juin 1848 et des années 1870 opérés (qui répudient la République sociale des quarante-huitards et des communards), cette égalité est bien politique. La démocratisation de la République des Jules, Ferry en tête, est une démocratisation politique, pas sociale. L’objectif, c’est d’étendre les droits politiques à tous pour fabriquer des républicains, contre le césarisme qui dévoie la révolution, contre le monarchisme catholique qui refuse la révolution, contre la révolution sociale aussi. Ainsi, l’école de Jules Ferry ne promeut pas la démocratisation sociale (elle aurait même tendance à s’en méfier), mais œuvre de toutes ses forces à la républicanisation des enfants. Il n’est ainsi pas question de toucher à la séparation socio-scolaire entre lycée bourgeois et école du peuple. En revanche, l’État républicain ferryste fait tout pour cette démocratisation politique, au point d’aller à l’encontre de son libéralisme financier en fournissant un effort budgétaire conséquent pour fonctionnariser les instituteurs. Afin d’enraciner la démocratie politique à son image, l’école est le seul domaine où l’on puisse parler de politique culturelle de l’État républicain jusqu’en 1914. Dans l’entre-deux-guerres, les mots de l’Égalité républicaine changent de sens historique. En effet, à la suite des premières avancées de Jean Jaurès ou de Ferdinand Buisson, la République pense désormais l’Égalité comme sociale. Elle place, et c’est nouveau, la justice sociale au cœur de la démocratisation, au cœur de la réforme. Lorsque Jean Zay parle de réforme démocratique à la fin des années 1930, tout le monde traduit démocratisation sociale. Nous le faisons encore. La question de l’Égalité en République est devenue : comment construire une République sociale ? Et si ce n’est pas par la révolution, comment réformer la société pour la rendre plus juste ?
La Fraternité est l’enfant naturelle de la République, tardivement venue, son tiers état. La Liberté et l’Égalité, les grandes aînées, se mettent en droits, font leur lit dans la Loi, sont les compagnes légales des républicains, la garantie de leur Constitution. La Fraternité, valeur morale mais non juridique, ne vient ni de robe ni d’épée, mais de ce qui relie les hommes, elle est religion en somme (religere, « ce qui relie »). Religion civique, la Fraternité est la morale de l’histoire républicaine, celle qui, allant vers les autres, permet de dire que notre société a réussi sa composition française. À l’âge des nations – devenues corps social et politique de l’État –, c’est par elle que l’on mesure la qualité de cohésion de la communauté nationale. À l’aune de l’histoire française de la constitution de l’État et de la nation en République, le cadre de cette cohésion fraternelle, émancipatrice, a pris le nom de laïcité, depuis l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 jusqu’aux réglages de 1905 ou 2004.
Et l’école dans tout ça ? Elle convoque un passé historique où se déploient les valeurs de la République, particulièrement celle de l’Égalité à travers l’importance du mérite reconnu à tous, quelle que soit la condition sociale. Ouvrons un manuel d’histoire de la Belle Époque destiné aux écoliers, à la page consacrée à Charlemagne. On y trouve, ancrée dans ce si lointain haut Moyen Âge, la trace de la place primordiale de l’Égalité sociale grâce à l’école. Car dans cette rétroprojection, Charlemagne n’est pas seulement l’inventeur de l’école, mais le père de la méritocratie, c’est-à-dire celui de l’école des valeurs républicaines d’Égalité. En effet, dans les petits Lavisse par exemple, on trouve cette gravure si célèbre, ce cliché éducatif, montrant l’empereur en train de réprimander les enfants riches qui travaillent mal et de féliciter les enfants pauvres qui travaillent bien : quel que soit votre rang social, l’école républicaine reconnaîtra vos mérites nous dit le Charlemagne des républicains !
Olivier Loubes

Pour être bien vu de la prof, il faut penser comme elle !
Pour être bien vu de la prof, il faut penser comme elle !
Michel Delattre, professeur de philosophie à Sciences-Po, Saint Germain en Laye.

POURSUIVRE LA RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE
Que veut dire « être bien vu du prof » ? Qu’il éprouve de la sympathie pour certains et pas pour d’autres ? C’est une tendance inévitable, mais que son souci de neutralité doit, justement… neutraliser ! Beaucoup d’élèves croient que pour être bien vu du prof, il faut penser comme lui. Cela tient pour une grande part au fait qu’il est de la responsabilité du professeur de juger de la pertinence de ce que fait l’élève. Mais cela ne veut pas dire qu’il attend de son élève une soumission intellectuelle.
Les sociologues qui s’intéressent à l’École ont identifié, parmi les facteurs de réussite et d’échec, des différences de mobilisation scolaire relevant de ce qu’ils appellent le « rapport au savoir scolaire » des élèves. Voir par exemple, les nombreux écrits de l’équipe ESCOL (en particulier Bernard Charlot, Élisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex, Stéphane Bonnery…) sur cette notion, qu’ils étudient à différents niveaux de la scolarité. Ou encore, Philippe Perrenoud : Métier d’élève et sens du travail scolaire, ESF, 1994. Si l’on durcit les oppositions qu’ils décrivent, et qui dans la réalité ne sont évidemment jamais aussi franches, on peut distinguer entre d’une part des élèves qui voient en l’École sa propre justification, parce qu’ils ont repéré que ce qu’ils y apprennent leur permettent de se développer, d’accroître leur compréhension de la réalité qui les entoure (et pour qui d’ailleurs ce processus d’apprentissage ne connaît pas de terme) ; et, d’autre part, des élèves pour qui l’École n’a pas de valeur en elle-même (l’école c’est important, mais pour… avoir de bonnes notes, satisfaire la famille, avoir un bon métier – qui d’ailleurs n’est lui-même qu’un moyen pour autre chose, ou même, comble de paradoxe, pouvoir « faire des études »… plus tard…). Cette seconde catégorie d’élèves réduit le métier d’élève à « être en règle » (avoir la moyenne, passer dans la classe supérieure, être bien vu des profs), quels qu’en soient les moyens. Ils réduisent de ce fait ce qu’ils font dans l’espace scolaire à des « activités », sans percevoir que celles-ci ont pour enjeu des apprentissages, des connaissances et des compétences à acquérir, qui leur donnent sens. Ce sens, ils ne le perçoivent pas. D’où l’incompréhension lorsqu’ils ont, souvent à juste titre, le sentiment d’avoir « travaillé », c’est-à-dire d’avoir fait ce qu’on leur demande, et qu’ils sont pourtant évalués négativement. La situation est d’ailleurs encore plus propice à malentendu si cela les conduit à un résultat en apparence satisfaisant qui les conduit à être évalués positivement sans avoir vraiment compris ni véritablement acquis ce qu’on a voulu leur enseigner.
Parmi eux, nombreux sont ceux qui s’en tirent apparemment en produisant ce qu’ils perçoivent qu’on attend d’eux, mais sans accorder vraiment de sens à ce qu’ils font, et donc sans y adhérer, avec pour seul but d’être en accord apparent avec ce que le professeur demande. Voir à ce sujet, le livre de ce professeur de philosophie qui se trouve en situation de bien noter les dissertations de philosophie que ces élèves lui donnent, parce qu’elles sont formellement conformes aux exigences scolaires, mais qui sait que ces élèves n’adhèrent absolument pas à ce qu’ils écrivent : Carole Diamant, École, terrain miné, éditions Liana Lévi, 2005. D’où le sentiment que pour être bien vu du professeur, il faut penser comme lui. Cela se manifeste par ces questions incessantes : « Est-ce que ce sera noté ? » (manière de manifester que ce n’est pas ce qu’on est en train d’acquérir qui importe) et plus encore, jusque sur les bancs de l’université : « Quelle est la bonne réponse ? » Comme s’il était radicalement interdit de juger soi-même ! Attitude qui peut même conduire à proposer des absurdités manifestes, parce qu’on est convaincu que ce qu’on pense authentiquement n’est pas recevable par l’enseignant.
Lorsque l’on enseigne quelque chose, il est évident que le but est que l’élève l’acquière et le comprenne. Il y a donc une part d’acquisition prédéterminée. Et il y a bien des connaissances exactes qui justifient qu’on y fasse la différence entre le vrai et le faux, la réussite et l’erreur. Mais il est bon que l’on mette l’élève en situation de comprendre que cela ne dépend ni de sa fantaisie, ni de celle du professeur. Lorsque le professeur, dans ce contexte, pose une question, l’élève sait que le professeur a la réponse. Ce n’est donc pas vraiment une question. Cela n’entraîne pas qu’il a le devoir se soumettre à quelque chose qu’il ne comprend pas. C’est pourtant une attitude courante, que l’on peut vérifier par la trop grande présence du plagiat. La liberté de pensée consiste au contraire à comprendre pourquoi ce qu’on apprend est justifié. Cela suppose qu’on donne aux élèves un droit aux essais et aux erreurs.
Mais il y a aussi de très nombreuses situations pédagogiques dans lesquelles l’élève est invité à une recherche personnelle. Il faut qu’il sache alors que sa réponse est acceptable, pour autant qu’il réfléchisse vraiment. Cela ne signifie pas qu’il a le droit de dire n’importe quoi, qu’il ne doit faire aucun effort de jugement, mais qu’il est libre de délivrer la réponse qui lui paraît pertinente et que même s’il est dans l’erreur, il n’en sera pas pour autant mal vu du prof…
On se méfiera donc d’un certain refus de toute référence aux « compétences ». Si celles-ci se réduisaient systématiquement à un seul savoir-faire et étaient un moyen de prétendre qu’on peut être « compétent » sans passer par la maîtrise de connaissances, on aurait tout à fait raison de s’en méfier, justement parce que ce serait un contresens sur l’École, générateur d’un rapport au savoir handicapant. Mais la référence aux compétences peut signifier autre chose : que l’élève ne doit pas être un simple perroquet et qu’il faut qu’ils s’approprient réellement des savoirs et des pratiques qui sont les vrais enjeux de sa scolarité.
Michel Delattre.



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