Vidéo 4/4 :
Quel est le vrai réel ?
En partenariat avec Slow Classes
En partenariat avec Slow Classes
Octobre 2015 - Conférence "L'instant zéro"
Croisière intermède - A la recherche du temps
Photo Virginie - Le Chêne parlant
Etienne Klein : Gilbert Garcin a
fait des photomontages avec son épouse. Il semble mettre en scène différentes pistes
théoriques explorées par les physiciens qui veulent unifier la physique
quantique et la relativité générale. Avec des espaces-temps… Il est fasciné par
le réel. Le vrai réel masqué par nos
vies, par les artifices qu’on y met, par les chatoiements de l’expérience qui
peuvent nous tromper sur la noirceur du monde. Il y a un peu d’absurde. Il est
fascinant de voir à quel point un artiste peut avoir des pressentiments qui
rejoignent ce que les formalismes les plus abstraits tentent de mettre en
scène.
Gilbert Garcin - connaître ses limites -1996
Virginie : Cédric Villani ressent ses théorèmes d’une manière vivante.
Etienne Klein : Oui, la question
est bien de savoir quel est le vrai réel. Est-ce que le réel, c’est le réel immanent ?
C’est le réel de l’expérience, du ressenti, de l’observation, des émotions ?
Il y a beaucoup de gens qui sont embués
dans ce réel-là, qui ont du mal avec l’abstraction, qui ont du mal avec l’imaginaire.
Ou bien est-ce que le vrai réel est ailleurs ? Celui qui permet de
comprendre les lois du réel empirique. C’est
une vraie question… Beaucoup de physiciens sont platoniciens. Beaucoup de
mathématiciens sont platoniciens. Il y a un autre réel que le réel empirique :
le réel des lois, des mathématiques, des idées. C’est problème pour les
chercheurs, de devoir faire l’aller-retour permanent entre le réel - qui est celui qu’ils explorent par leur
travail le réel décalé - et le réel de la vie ordinaire. Einstein, n’était pas
du tout autiste, mais avait des problèmes avec ça : avec le réel de tous les jours. Ça ne veut pas dire
qu’il était distrait, Il vivait dans un pays qui n’était pas un pays
incarné. Un ailleurs dont il éprouvait la force la consistance, la solidité, la
force - la force d’existence. Il avait
du mal à connecter ce réel avec le réel des relations humaines. Il n’a jamais
été engagé dans une relation humaine comme il a été engagé lui-même avec le
champ des idées. Il était capable de
rester concentré dans un problème dans un tumulte général, dans les
conversations alentour. Parfois, il profitait du tumulte pour mieux se
concentrer…
Il est
difficile de répondre à cette question. Savoir y répondre ce serait prétendre savoir
quel est le statut des lois physiques. Est-ce
qu’elles sont incrustées dans le monde sans qu’on les voit ?… Est-ce qu’elles
sont là, immanentes ? Ou sont-elles transcendantes dans d’autres mondes
que dans le monde où elles agissent ? C’est vertigineux comme question :
comment des lois pourraient-elles agir sur un monde dans lequel elles ne sont
pas ? Par quel biais peuvent-elles agir sur nous ? C’est une question à laquelle – à mon avis –
on ne répondra jamais. Ce sont des
questions qui se posent quand on s(intéresse au Big-Bang. Nous lisons le
Big-bang à partir de lois physiques qui étaient celles agissant à cette période
de l’univers. Est-ce que ces lois existaient avant le big-bang ou est-ce le
Big-bang qui les a fabriquées ?
Virginie : La question du réel est
essentielle car la science avait, naguère, une aura de toute puissance :
celle de pouvoir tout régler. L’aurait-elle
perdue ?
Etienne Klein : La physique permet
à la fois un dévoilement du réel mais en même temps l’obscurcit. Le réel qu’elle
nous montre – boson de Higgs, dimensions
supplémentaires de l’espace-temps, physique quantique - est un réel
parfaitement étranger. Il ne nous parle pas, ne nous touche pas et ne vient pas
déclencher d’empathie, de solidarité intellectuelle. C’est tellement loin… Ça
en devient complétement étranger finalement. Ça ne dit rien de notre condition
humaine. Ce que la physique dévoile en touchant le réel, obscurcit ce réel
parce que ceux qui s’y intéressent ne peuvent l’atteindre qu’au prix d’un formalisme
mathématique compliqué que personne ne comprend vraiment, ne parle pas et donc
ne nous parle pas. Il y a une sorte d’instinct
de survie de l’âme qui veut dire sa place dans le monde et le sens que le monde
a pour elle sans tenir compte de ce réel. Et la science se trouve ainsi presque
marginalisée ou ignorée. Il y a aussi le fait que la science ne répond qu’aux
questions scientifiques. Or les questions scientifiques, c’est très peu de
questions. En physique des particules, c’est très peu de questions… Une dizaine
au maximum. Nous intéressent-elles vraiment ? Où est passé l’antimatière ?
… On peut très bien vivre sans le
savoir. On s’en fiche un peu. Combien y a-t-il de dimensions de l’espace-temps ?
… On s’en fiche. Est-ce qu’il y a un seul boson de Higgs… ?
Virginie : Ça peut faire rêver...
Etienne Klein : Ça peut faire
rêver, mais qui s’y intéresse vraiment ?
Qui s’y intéresse vraiment ? Il y a des gens que ça passionne évidemment.
Mais qui s’y intéresse ?... Les physiciens. Et du coup, il existe une
menace de jeter le bébé avec l’eau du bain. En disant, les sciences ne répondent qu’aux
questions scientifiques, elles ne répondent pas aux questions qui nous
intéressent vraiment : la liberté, les valeurs, le sens de la vie, l’amour,
la justice… La science ne répond aux questions fondamentales donc on va la
mépriser. C’est vraiment un piège de la pensée auquel il faut renoncer tant les
résultats de sciences viennent changer les questions de valeurs. Par exemple
quelqu’un qui sait que l’univers est apparu il y a 13,7 milliards d’années et
que l’homme dans cet univers n’est là que depuis 2 - 3 millions d’années, ne va
pas se penser dans le monde de la même manière que quelqu’un qui pense que la
planète a 6000 ans et que l’homme est apparu tel qu’il est aujourd’hui. Il y a
des résultats de science qui viennent déplacer notre imaginaire, notre intellect
et viennent modifier notre façon d’être au monde. Et si on déplace notre façon
d’être au monde, alors sans doute on déplace nos valeurs.
Virginie : Les grands
scientifiques ne sont-ils le monde au lieu d’être dans le monde ?
Etienne Klein : Peut-on parler des
scientifiques en général ? Par exemple, les scientifiques travaillant sur
la physique quantique, il n’y en n’a pas deux pareils. Il n’y en n’a pas deux
qui ont le même rapport au monde. Il n’y en n’a pas deux qui ont le même
imaginaire. Il n’y en n’a pas deux qui
ont le même a priori sur ce qu’est le
réel. Il n’y en n’a pas deux qui
déploient leur génie de la même façon. Il
n’y a pas qu’une façon d’être génial. Il y en a plusieurs. Là, je parle des
génies. Si vous parlez des physiciens, ce ne sont pas de génies.
Virginie : Est-ce qu’il faut
parler de Génie ? Cédric Villani nous dit « Le génie », c’est
celui qui sort de sa lampe… Sont-ils vraiment hors norme ?
Etienne Klein : La physique
quantique n’est pas née d’effet collectif, même si les discussions jouent un
grand rôle. Je vais faire une histoire contrefactuelle… Je sais que ça n’est
pas bien. Si vous retirez de l’histoire une vingtaine de chercheurs. Si vous refaites
le 20ème siècle sans Einstein, sans Bohr, sans Schrödinger, sans Pauli,
sans Dirac, sans Heisenberg… Et quelques autres… Je ne suis pas sûr que vous
ayez la mécanique quantique. Si vous prenez des physiciens un peu moins bons
que Dirac… et vous les mettez à la place de Dirac, Il n’est pas sûr que vous
ayez les équations de Dirac… Il y a vraiment un effet de personne, de qualité, d’individu…
Vous pouvez mettre tous les éléments de contexte que vous voulez… Ou dire que si
Einstein n’avait pas été à l’office des Brevets à Berne, il n’aurait pas fait
la relativité... Ça n’engage que vous… L’histoire de la science ne se comprend
que si l’on invoque l’apparition régulière de génies… Mais cela ne suffit pas. Il
faut aussi des contextes, il faut des gens qui effectuent des expériences. Pour
transmettre, pour comprendre, pour expérimenter. Les génies ne suffisent pas
mais ils sont nécessaires.
Merci à Etienne
Klein.
Chère Virginie, vos derniers articles et entretiens avec Etienne Klein sont excellents, je vous en remercie vivement. Je n'ai pas encore eu le temps de tout lire et de tout écouter, mais j'y reviendrai, assurément. Quel plaisir aussi cette évocation de Gilbert Garcin, dont je suis "fan" depuis tant d'années ! Vous souhaitant également le meilleur pour cette nouvelle année ! Bien amicalement,
RépondreSupprimerChère Elly,
RépondreSupprimerMerci de votre commentaire. Vous accueillir et vous lire est toujours un plaisir. Bon week-end à vous. Virginie