samedi 24 février 2018

La résistance intellectuelle au cœur de l'apprentissage, par Olivier Houdé



Olivier Houdé, le 29 novembre 2017, La Sorbonne


Olivier Houdé évoque les résistances cognitives favorisant ou inhibant l'apprentissage. Pour ce faire, le chercheur met en regard deux types de procédures utilisées par les élèves confrontés aux résolutions de problèmes, à savoir : l’algorithme et l’heuristique.


En ce sens, si l'automatisme (étant un excellent moyen de mémorisation)  s’avère nécessaire, ce dernier peut également entraîner des processus heuristiques. Autrement dit, des pensées automatiques, des raccourcis, la plupart du temps efficaces,  mais pouvant également se révéler faux. 
Par exemple, lorsque Jean Piaget effectue des tests de conservation des quantités. Le psychologue présente un certain nombre de pions alignés, puis le  même nombre de pions mais cette fois, espacés les uns des autres. A la question posée de savoir si les deux collections sont identiques, certains enfants répondent par la négative. Plus l’élève est jeune, constate Jean Piaget, plus ce dernier va fournir une réponse erronée, le psychologue  interprète ces réponses enfantines comme non logiques. 


Néanmoins, contrairement aux idées reçues, l’élève n’est pas illogique. La plupart du temps, comme on peut le constater dans les affichages de classe, la longueur de la suite numérique correspond à la quantité effec
tive. Plus la suite est longue, plus le nombre est quantitativement grand. Seulement ici, cette observation automatisée ne s’avère pas pertinente. L’enfant doit donc dépasser cette impression, « inhiber » cette idée en passant par une procédure algorithmique de comparaison, tel le comptage de la collection afin de répondre.   


Merci à Olivier Houdé de son aimable accord.



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Pour aller plus loin :

Lisez, si vous le pouvez : Bentolila Alain et al., L’essentiel de la pédagogie, Nathan, 2017
Avec les contributions de : "Meirieu Philippe, Boimare Serge, Bouysse Viviane, Jousselme Catherine, Houdé Olivier, Bentolila Alain, Germain Bruno, Duquesne-Belfas Françoise, Girodet Marie-Alix, Quéré Yves, Hadji Charles, Beneych Paul, Martin Brigitta, Mounié Sébastien" 
Vous y trouverez une mine d'informations. Pour vous mettre en "appétit", quelques extraits parlants : "Chapitre 4 - Les sciences cognitives et les apprentissage à l’école primaire, par Olivier Houdé
P 77 : " 3 Piaget revisité : heuristique, algorithmes et inhibition
Un autre exemple, dans le domaine mathématique, permet de bien comprendre la généralité de ce phénomène. Il s’agit de la tâche de conservation du nombre jadis inventée par Piaget (Piaget & Szeminska, 1941). Devant deux rangées qui ont le même nombre de jetons (7 et 7 par exemple) mais qui sont de longueurs différentes (après l’écartement de l’une des deux rangées), jusqu’à 7 ans l’enfant considère qu’il y a plus là où c’est plus long ». Piaget croyait que l’enfant n’était pas logique, qu’il était dominé par son système 1. Or la difficulté est ici d’apprendre à inhiber l’heuristique « longueur égale nombre » alors même que l’enfant est déjà capable de compter (Houdé 2000).
Dans le cerveau, une heuristique et une stratégie très rapide, très efficace – donc économique pour l’enfant ou pour nous-mêmes -, qui marche très bien, très souvent, mais pas toujours, à la différence de l’algorithme exact, stratégie plus lente et réfléchie, mais qui conduit toujours à la bonne solution (le syllogisme, de comptage, etc ;)
P 78 : D’où vient l’heuristique « longueur égale nombre » ? Par exemple, sur les rayons des supermarchés, en général, il est vrai que la longueur et le nombre varient ensemble (covarient) : face à deux alignements de produits du même type, celui qui est plus long contient aussi le plus de produits. Le cerveau de l’enfant  détecte très tôt ce type de régularité visuelle et spatiale. De même à l’école ou à la maison quand on apprend les additions ou les soustractions (ajouts/retraits) avec des objets sur une table, si on additionne, on ajoute un ou plusieurs objets (1+1+1+1…) et c’est plus long ; si on soustrait, c’est l’inverse. C’est encore vrai dans les livres de « maths pour petits » ou sur les murs des classes. On y découvre en général la suite des nombres de 1 à 10 illustrée par des alignements d’objets de longueur croissante (des alignements d’animaux ou de fruits). Donc quasiment partout, sauf dans la tâche de Piaget, la longueur est le nombre varient ensemble.

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